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Congo Hold-up: Sud Oil, la siphonneuse du premier cercle de Joseph Kabila

La fuite de plusieurs millions de documents et transactions bancaires à la BGFIBank révèle l’ampleur des détournements de fonds publics. Parmi les principaux bénéficiaires présumés, il y a Joseph Kabila, l’ancien président de la République démocratique du Congo, et son premier cercle. Le premier volet de cette enquête, appelée Congo Hold-up, porte sur la société Sud Oil et ses sociétés satellites. Elles ont reçu pour plus de 90 millions de dollars d’argent public. Enquête de Mediapart avec EIC et ses partenaires, dix-sept médias dont RFI et cinq ONG.

« C’est quoi, Sud Oil ? ». Il n’y a pas un gardien du 43 avenue Tombalbaye qui le sache. Pourtant, en 2014, cette discrète société de droit congolais de distribution de produits pétroliers s’installe à ce numéro et dans toute la concession d’immeubles et de garages qu’il abrite sur l’une des principales artères commerçantes de la Gombe, en plein cœur de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC). « Non, ici, ce n’est pas Sud Oil, c’est chez Kabila », corrige le gardien. Dans ce grand pays d’Afrique centrale, souvent qualifié de scandale géologique, la population n’a rien raté des scandales liés au pillage de ses ressources. Ce que les Congolais ignorent souvent, c’est par quels mécaniques et montages ils ont été spoliés du bénéfice de ces richesses. Ils en subissent les conséquences au quotidien. Plus de 70% de Congolais vivent toujours avec moins de deux dollars par jour.

Entrée de l'ensemble des bâtiments qui abritent Sud Oil à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC).

Entrée de l’ensemble des bâtiments qui abritent Sud Oil à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). © PPLAAF

Pour comprendre comment ces détournements publics ont été opérés, pendant neuf mois, dix-neuf médias internationaux coordonnés par le réseau European Investigative Collaborations (EIC), dont Radio France Internationale (RFI) et cinq ONG ont analysé la plus grande fuite de données bancaires d’Afrique, appelée Congo Hold-up. Il s’agit de plus de 3,5 millions de documents et de millions de transactions du groupe BGFI et de sa filiale en RDC couvrant une période de dix ans, obtenus par l’ONG Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et le site d’information français Mediapart.

► À lire aussi : Congo Hold-up: la plus importante fuite de documents bancaires d’Afrique

Comme au Gabon et au Congo-Brazzaville, la BGFIBank RDC est la banque du président. En 2010, quand cette enseigne s’installe à Kinshasa, la sœur de Joseph Kabila, Gloria Mteyu, reçoit gratuitement 40% du capital. En 2013, Francis Selemani, son frère adoptif, devient le directeur général de BGFI RDC. Ils conserveront ces positions et avantages au moins jusqu’en mai 2018.

L’analyse des documents Congo Hold-up montre comment la famille Kabila et ses associés ont reçu, avec la complicité de la BGFI, 138 millions de dollars des caisses de l’État entre 2013 et 2018. Ces détournements présumés de fonds publics sont l’équivalent de 250 000 années de salaire moyen en RDC.

À cela s’ajoutent des dépôts colossaux d’argent : 33 millions de dollars déposés en liquide, et 72 millions d’origine inconnue qui ont transité par le compte de la BGFI à la Banque centrale du Congo (BCC).

Sur le total de cet argent public, Sud Oil joue un rôle important, car cette société a encaissé, avec ses sociétés satellites, plus de 150 millions de dollars, dont 28 millions de cash et 92 millions d’argent public sur leurs comptes à la BGFI.

Règle #1 : Prendre le contrôle d’une société existante

Sud Oil a été créée en 2008 par Pascal Kinduelo, un homme d’affaires proche de la famille Kabila, qui devient président du conseil d’administration de la BGFIBank RDC deux ans plus tard. M. Kinduelo possédait 60% de ses parts. Les 40 autres pour cent étaient détenus par ses filles Mina et Lyvie Kinduelo.

Au départ, Sud Oil est une véritable société de distribution de pétrole : elle possède un petit réseau de sept stations-service. Mais en 2011, elle vend ces stations et semble entrer en sommeil. Mais elle connaît ensuite une deuxième vie, quand la famille Kabila en prend le contrôle.

Officiellement, selon un procès-verbal, le 4 octobre 2013, se tient une assemblée générale extraordinaire de Sud Oil. Les actionnaires déclarés à cette occasion sont Aneth Lutale, femme de Francis Selemani Mtwale (80%) et Gloria Mteyu (20%). Au début de la séance, les gérants sont encore Pascal Kinduelo et l’une de ses filles. Mais quand l’assemblée se termine, ils ont démissionné et sont remplacés par un certain David Ezekiel.

Les statuts de Sud Oil en 2013.

Les statuts de Sud Oil en 2013. © GRC

Les nouveaux statuts de Sud Oil ne sont adoptés que l’année suivante. Mais le fidèle et discret collaborateur tanzanien de Francis Selemani Mtwale, David Ezekiel prend déjà la main. Les documents Congo Hold-up établissent qu’à travers lui, son patron, le directeur général de la BGFIBank RDC contrôle effectivement Sud Oil.

L’analyse des comptes de Sud Oil à la BGFI montre qu’entre 2013 et 2018, le frère adoptif de Joseph Kabila a personnellement reçu au moins 10 millions de dollars de Sud Oil, utilisés notamment pour acheter des biens immobiliers en Afrique du Sud et aux États-Unis. Son collaborateur, M. Ezekiel, va retirer, à lui tout seul, près de 53 millions de dollars en liquide des comptes de la société.

Il y a beaucoup de bénéficiaires de Sud Oil. Elle a également servi à faire transiter dix millions de dollars versés par des entreprises étrangères, dont une partie pourrait provenir de pots-de-vin, comme nous le révélerons lors des prochains volets de notre enquête.

Les fonds détournés semblent également avoir profité au duo d’hommes d’affaires Alain Wan et Marc Piedboeuf, associés de Joseph Kabila. Inconnus du grand public, ces deux hommes contrôlent un empire économique en RDC. Ils ont notamment été actionnaires puis gestionnaires des Grands Élevages du Bas-Congo, l’immense domaine agricole du président Kabila.

Le 25 mai 2016, Marc Piedboeuf a retiré 640 000 dollars en liquide sur le compte de Sud Oil à la BGFI grâce à un chèque émis par la société en sa faveur. Le 26 juin 2016, André Wan, le fils d’Alain, a retiré à son tour 1,1 million de dollars en cash de la même manière.

Interrogés à ce propos, Alain Wan et Marc Piedboeuf ont refusé de répondre, indiquant, par la voix de leur avocat, que nos questions contiennent des informations « pour la plupart mensongères » et sont motivées par l’« intention manifeste de nuire ».

Le 3 novembre 2021, avant même la publication de cet article, ils ont déposé une plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre nos partenaires Mediapart et De Standaard auprès d’un procureur général de Kinshasa, lui demandant de « diligenter une commission rogatoire auprès des juridictions belge et française vu qu’il y a péril en la demeure ».

Au cours de cette enquête, nous nous sommes aussi heurtés à un mur du silence. Les principales personnalités mises en cause, Joseph Kabila, Francis Selemani Mtwale, Gloria Mteyu, Pascal Kinduelo, David Ezekiel n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Règle #2 : Se choisir un siège social

À l’automne 2013, Sud Oil lance sa première opération depuis la prise de contrôle de la famille Kabila : l’acquisition de l’ancien immeuble d’ATC, un concessionnaire automobile appartenant à Philippe de Moerloose, riche homme d’affaires belge très proche de Joseph Kabila, qui l’avait lui-même acheté deux ans plus tôt à son propre groupe. C’est cet ensemble immobilier qui est situé au 43 avenue Tombalbaye à la Gombe.

Des courriels montrent que Francis Selemani Mtwale semble négocier lui-même la vente avec Philippe de Moerloose pour le compte de Sud Oil, alors qu’il n’a officiellement aucune fonction dans la société. « Cher Francis, j’espère que tu vas bien. Sois sûr que nous allons conclure ce deal et que je n’ai aucun problème, parce que je te fais confiance. C’est le plus important », lui écrit ainsi l’homme d’affaires belge le 14 octobre 2013.

M. de Moerloose réclame 12 millions de dollars, à payer sur son compte suisse à la banque UBS de Genève : 5 millions tout de suite, et le solde échelonné sur un an. Sud Oil n’a pourtant, à ce moment-là, qu’un peu plus de 100 000 dollars sur son compte. Mais pour Francis Selemani Mtwale, frère du président de la République et directeur général de la BGFI RDC, ce n’est pas un problème.

Le 25 novembre 2013, jour de la vente, la Banque centrale du Congo (BCC) vire 5,5 millions de dollars sur le compte de Sud Oil à la BGFI. Les sept millions restant sont financés par une garantie bancaire octroyée par la BGFI, sous forme de douze traites mensuelles que Sud Oil doit rembourser. La société a scrupuleusement honoré ses engagements, grâce à des mystérieux dépôts d’argent liquide effectués avant chaque échéance.

Transfert de la BCC à Sud Oil.

Transfert de la BCC à Sud Oil. © PPLAAF

Interrogé sur ces courriels, Philippe de Moerloose assure que ses « échanges avec M. Selemani concernaient » uniquement la « garantie de paiement » octroyée par la BGFI « et non pas la transaction immobilière ». Il explique aussi avoir « à l’époque exigé une copie du registre des actionnaires » de Sud Oil, et que le document qui lui a été présenté « ne renseignait aucun membre de la famille Kabila ».

Début 2014, Sud Oil déménage son siège social dans la concession rachetée à de Moerloose. Selon plusieurs témoins, la société n’avait aucun salarié sur place, pas même un bureau pour son gérant David Ezekiel, le collaborateur de Francis Selemani Mtwale. « Il venait de temps en temps, mais pour régler les affaires et les problèmes liés à l’immeuble », indique l’un de nos témoins.

Officiellement, Sud Oil est toujours une société pétrolière, mais nous n’avons pas trouvé trace de son activité dans ce domaine. Elle n’est même pas enregistrée comme contribuable auprès du ministère des Finances. La société n’a donc pas de numéro fiscal et ne paye aucun impôt. Bref, Sud Oil est une société fantôme.

Les seules activités économiques de Sud Oil semblent avoir été menées avec la BGFI. En avril 2014, Sud Oil loue une partie de l’ancien garage qui lui sert de siège social à la banque, pour qu’elle y entrepose ses archives. Sud Oil et une société créée par M. Ezekiel, Horizon Congo, vont par la suite louer trois autres biens immobiliers à la banque, et encaisser des loyers pour un montant total de 784 000 dollars.

La BGFI a aussi versé à Sud Oil 934 000 dollars pour acheter des voitures de fonction aux hauts cadres de la banque, dont 145 000 dollars pour deux véhicules : ceux de son directeur général Francis Selemani et du président du conseil d’administration Pascal Kinduelo. On ne sait pas si les véhicules ont été livrés ; mais, nous n’avons trouvé que 276 000 dollars de paiements libellés comme des achats de voitures dans les relevés bancaires de Sud Oil, ce qui pourrait indiquer qu’elles ont été facturées à la BGFI pour le triple du prix.

Règle #3 : Mettre sur pied son réseau

En cette année 2014, la grande affaire de Francis Selemani Mtwale semble être de prendre le contrôle de nouvelles banques. Pour y parvenir, il va d’abord créer une nouvelle société : Kwanza Capital. Elle est officiellement détenue à 80% par Pascal Kinduelo, président du conseil d’administration de la BGFI et à 20% par Sud Oil.

Comme l’a déjà révélé dans un rapport l’ONG The Sentry, partenaire du projet Congo Hold-up, Kwanza Capital était la banque d’investissement secrète de la famille Kabila. Dès sa création, elle a obtenu de la Banque centrale le statut d’« institution financière spécialisée », jusqu’ici réservé aux institutions financières ayant une mission d’intérêt public.

L’analyse des comptes effectuée par Congo Hold-up montre que Sud Oil a financé Kwanza à hauteur de 23 millions de dollars, en grande partie grâce à de l’argent public détourné. La première opération sur le compte de Kwanza à la BGFI, le 27 août 2014, est un virement de cinq millions de Sud Oil, que la société a pu financer grâce à un transfert du même montant effectué le même jour par la Banque centrale du Congo.

Le 19 novembre 2014, Sud Oil lui verse trois millions de dollars de plus qui sont immédiatement retirés en liquide par Pascal Kinduelo. Ces fonds, Sud Oil les avait obtenus d’Egal, une autre société liée à des proches de Joseph Kabila, spécialisée dans l’importation de denrées alimentaires. L’analyse des documents montre qu’Egal les tenait, elle aussi directement, de la Banque centrale. C’est ainsi que de l’argent public disparaît dans un dédale d’entreprises tenues par des proches de l’ancien président.

Kwanza a ainsi pu se lancer dans des prêts d’argent auprès de clients très particuliers. Le premier, la SCTP, est l’entreprise publique en charge des ports et du transport fluvial. Kwanza lui a prêté 24 millions de dollars, qui lui rapporteront 1,3 million d’intérêts. Le second prêt a été octroyé à Afritec, une entreprise de travaux publics contrôlée par des très proches de Joseph Kabila. 3,7 millions sont prêtés et 4,1 millions sont rendus, ce qui fait un profit net de 381 000 dollars pour Kwanza.

Les documents Congo Hold-up permettent aussi de confirmer certaines des révélations de The Sentry, partenaire de cette enquête. L’ONG américaine avait révélé que fin 2014, Kwanza Capital avait tenté de racheter une des banques les plus importantes du Congo : la Banque commerciale du Congo (BCDC) dont l’un des actionnaires était à l’époque l’homme d’affaires belge Georges Forrest.

L’analyse des comptes de Kwanza Capital montre que, le 12 décembre 2014, la BGFI reçoit un ordre de cette société d’effectuer un virement de deux millions de dollars sur le compte de M. Forrest à la BCDC. Cette opération est, un temps, suspendue car un banquier à la BGFI constate « l’absence de signature du donneur d’ordre ni même un soubassement ». Son collègue lui demande « d’exécuter l’opération » et répond que « les signatures seront régularisées une fois le client disponible ». Le libellé de ce virement est « règlement convention ».

Cette vente n’a jamais eu lieu. C’est notamment à la suite de l’échec de ce rachat que Francis Selemani Mtwale aurait tenté de lancer sa propre banque d’affaires, avec toutes les attributions que cela suppose. Mais cette société, baptisée Alliance Bank et détenue à 80% par Kwanza, n’a jamais pu démarrer ses activités. Elle avait besoin de banques dites « correspondantes » à l’étranger qui effectuent pour son compte les opérations en dollars. Mais aucun établissement étranger n’a accepté de jouer ce rôle pour la banque de la famille Kabila.

Règle #4 : Puiser directement à la source

L’histoire de Sud Oil va à nouveau basculer en 2015, en même temps que celle du pays. La fin du second mandat de Joseph Kabila approche, et la Constitution lui interdit d’en briguer un troisième. Les élections sont prévues en novembre 2016.

En janvier 2015, le Parlement examine un projet de loi électorale dont certaines dispositions pouvaient repousser les scrutins. Cette initiative est interprétée comme la volonté de Kabila de se maintenir illégalement au pouvoir et elle provoque de premières manifestations, réprimées dans le sang par le régime, avec une quarantaine de morts rien qu’à Kinshasa. La crise dure pendant plus de deux ans. Jusqu’à la signature d’un accord politique en décembre 2016 sur l’organisation des élections, Joseph Kabila est sous la pression de la rue pour quitter le pouvoir dans les délais prévus par la Constitution.

C’est pendant cette période d’incertitude politique pour Joseph Kabila, de 2015 à 2016, que Sud Oil a reçu le plus d’argent public : plus de 66 millions de dollars en deux ans d’argent public, soit 72% des sommes qu’elle reçoit. Le plus gros contributeur de la société écran contrôlée par le frère et la sœur du chef de l’État est, de loin, la Banque centrale du Congo (BCC), dirigée jusqu’en juillet 2021 par Deogratias Mutombo, un proche de Joseph Kabila.

Les documents Congo Hold-up montrent que la BCC a versé, via la BGFI, 51,4 millions de dollars à Sud Oil, dont 30 millions d’un coup le 29 septembre 2016, via un virement intitulé « nivellement ». Ce libellé semble inexact, puisqu’un nivellement désigne d’ordinaire un versement entre deux comptes appartenant à un même client de la banque. Interrogés par RFI et ses partenaires sur l’objet de cet étrange virement, comme de tous les autres, la Banque centrale et son ancien gouverneur Deogratias Mutombo n’ont pas répondu.

La compagnie minière d’État, la Gécamines, a, elle aussi, été mise à contribution, avec 20 millions de dollars versés à Sud Oil. Le président de son conseil d’administration est, lui aussi, un proche de Joseph Kabila, le très influent homme d’affaires Albert Yuma. Le 13 juin 2016, cette entreprise publique effectue, par exemple, depuis son compte à la BGFI, un virement de deux millions de dollars intitulé « solde avance sur fiscalité », c’est-à-dire le paiement d’un impôt à l’État. Mais l’argent atterrit sur le compte de Sud Oil, avec un libellé différent : « Solde retrait 10 millions ». Le 2 août 2017, la Gécamines vire, cette fois, la bagatelle de 15 millions de dollars à Sud Oil. Comme pour le virement de 30 millions de dollars de la BCC, ce libellé, « paiement alimentation de notre compte », suggère que l’entreprise publique et Sud Oil ne font qu’un. Interrogés par RFI et ses partenaires, la Gécamines et Albert Yuma n’ont pas donné suite.

Virement de la Gécamines à Sud Oil.

Virement de la Gécamines à Sud Oil. © PPLAAF

Autre question que s’est posée Congo Hold-up : qu’est devenue la paie des 925 casques bleus congolais opérant dans le cadre de la mission de maintien de la paix de l’ONU en Centrafrique (Minusca) ? En janvier 2016, l’ONU décide de mettre fin à la participation de ce contingent, à la suite d’allégations de viols sur mineurs. En décembre 2015 puis en mars 2016, l’ONU effectue deux versements d’un total de 7,3 millions de dollars à la RDC, correspondant au dernier remboursement des frais engagés pour sa participation à la Minusca. L’argent est versé à la Mission permanente de la RDC auprès de l’ONU, sur son compte à la Citibank de New York.

Interrogée sur cette situation, la Mission permanente nous indique que l’ambassadeur de RDC auprès de l’ONU a alors reçu « de la capitale » l’ordre de payer « les arriérés de loyer de la Mission permanente », puis de transférer le solde, soit 6,8 millions d’euros à « la Banque centrale du Congo (BCC) via la BGFIBank RDC ». La Mission permanente précise avoir envoyé, le même jour, « un message officiel […] à la Banque centrale » pour la prévenir du transfert.

La BGFI a reçu les 6,8 millions le 16 mai 2016, mais au lieu de créditer le compte de la BCC, elle a viré l’argent sur celui de Sud Oil. L’ordre de virement adressé le 29 avril 2016 à la Citibank indiquait pourtant que l’argent devait être viré sur le compte de la BCC ouvert à la BGFI. Comme le même jour, la BCC verse à Sud Oil 7,5 millions de dollars supplémentaires, cela fait 14,3 millions d’argent public encaissé dans la même journée par Sud Oil.

Transfert de la BCC et de la Mission permanente à l'ONU à Sud Oil.

Transfert de la BCC et de la Mission permanente à l’ONU à Sud Oil. © PPLAAF

Règle #5 : Imposer sa taxe

Pour remplir les caisses de sa société Sud Oil, Francis Selemani Mtwale, patron de la BGFI, a fait appel à toute l’ingéniosité de ses banquiers, à tel point qu’il est parfois difficile de déterminer si les institutions publiques qui ont financé la société étaient consentantes. Mais en analysant les comptes de Sud Oil, une question se pose très vite. Les institutions et entreprises publiques congolaises se sont-elles vu imposer une sorte de « taxe Kabila » ?

En tout cas, le 19 décembre 2015, la Société congolaise des transports et des ports (SCTP) vire, depuis son compte à la BGFI, 1,16 million de dollars sur un compte interne de la BGFI appelé « OAR VIP », avec le libellé « remboursement impayé » et « commission de notification », ce qui suggère le paiement de frais bancaires. L’argent est en réalité viré le jour même par ce compte interne à Sud Oil et il est retiré en liquide. Interrogée, la SCTP n’a pas répondu.

On retrouve des mouvements tout aussi suspects à l’Assemblée nationale. Le 30 septembre 2016, la BGFI prélève sur son compte des « pénalités de retard » pour 367 millions de francs congolais (375 000 dollars), sans préciser sur quoi portent ces pénalités. Mais c’est bien un nouveau virement à la société Sud Oil qui est effectué ce jour-là. Cette somme est retirée en liquide le jour même. Interrogés par RFI et ses partenaires, Aubin Minaku et Élysée Munembwe, respectivement président et questeur de l’Assemblée nationale à l’époque, ont indiqué qu’ils n’ont donné à la BGFI « aucun ordre de virement […] au profit de cette société ».

À chaque fois que la Commission électorale reçoit un peu d’argent en 2016, c’est la même mécanique. Sous de faux libellés, plus d’un million de dollars est versé des comptes de la Céni vers celui de Sud Oil. L’ancien président de la Commission électorale à l’époque des faits, Corneille Nangaa, a refusé de nous répondre, tandis que l’ancien vice-président, Norbert Basengezi, indique n’avoir « jamais entendu parler de ce dossier ni de la société Sud Oil ».

Certaines institutions sont devenues des vaches à lait. L’un des exemples les plus frappants concerne l’argent des routes, dont la RDC manque cruellement. Le Fonds national d’entretien routier de la RDC (Foner) a effectué, depuis ses comptes à la BGFI, 21 virements à Sud Oil et à sa filiale Kwanza entre avril 2015 et mars 2016, pour un total de 10,1 millions de dollars. Le plus gros virement, d’un montant de 3,1 millions, a été reçu par Kwanza le 23 janvier 2015, avec pour seul libellé « OAR/opérations », le nom d’un compte interne de la BGFI depuis lequel de nombreuses malversations ont été commises. Le 26 janvier, Kwanza vire les fonds à Sud Oil, qui retire l’intégralité des trois millions en liquide dix jours plus tard.

Interrogé, le Foner n’a pas répondu, tout comme son directeur général à l’époque des faits, Fulgence Bamaros, un proche de Joseph Kabila qui purge officiellement une peine de trois ans de prison pour une autre affaire de détournement de fonds publics.

La galaxie Sud Oil

La galaxie Sud Oil © RFI

Règle #6 : Couvrir ses arrières

Tout aurait pu continuer encore longtemps sans l’intervention d’un banquier de la BGFI RDC devenu lanceur d’alerte : Jean-Jacques Lumumba. Grâce aux documents internes qu’il a récupérés, les « Lumumba Papers », le journal belge Le Soir révèle, en octobre 2016, une première série d’irrégularités, dont l’argent détourné des comptes de la Céni.

► À (re)lire aussi : Lumumba Papers: Jean-Jacques Lumumba et Guylain Luwere attaquent la BGFI

Le scandale attire l’attention. En 2017, les auditeurs du cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PWC), chargés du contrôle des comptes, puis la direction du groupe BGFI au Gabon, et enfin la Banque centrale, produisent tous des rapports accablants sur la gestion de la BGFI RDC. « La somme des faiblesses décrites soumet la banque à une exposition très élevée des risques opérationnels, de contentieux, de blanchiment des capitaux et de réputation », conclut le service d’audit de la BCC.

Cette année-là, on sent le vent tourner pour Francis Selemani Mtwale et son réseau. Le directeur général de la BGFI RDC possède, avec son épouse, une société nommée Ascend Trust qui a enregistré des entrées sur son compte d’un peu plus de 10 millions dont 9,57 proviennent de Sud Oil. En décembre 2017, ce qui reste sur ce compte, soit 3,4 millions, est viré sur celui d’une autre de ses sociétés écran, Horizon Congo, également contrôlée par son collaborateur tanzanien David Ezekiel, le gérant de Sud Oil. Dans les semaines qui suivent, ce dernier commence à retirer l’intégralité de cet argent en liquide.

L’opération est repérée par le service d’audit interne de la BGFI qui lance une enquête. Leur rapport est accablant. Outre les factures suspectes, le compte d’Horizon Congo a été ouvert en violation des procédures. Le chef de l’audit interne, Yvon Douhore, découvre même que David Ezekiel a deux signatures différentes : l’une pour Sud Oil et l’autre pour Horizon Congo. « Qu’est ce qui peut amener une même personne à avoir deux différentes signatures ? Vraiment… », écrit-il à une collègue. « C’est juste inimaginable », répond-elle.

En avril 2018, les auditeurs de PWC s’intéressent, eux, aux transactions depuis le compte de la Gécamines. Parmi elles, figure la soi-disant avance fiscale de deux millions de dollars qui a été détournée au profit de Sud Oil le 13 juin 2016.

Face à cette menace, la société contrôlée par Francis Selemani se résout à rembourser l’argent. Moreau Kaghoma, directeur des opérations de BGFI RDC, semble chargé de cette opération. En tout cas, le 13 avril 2018, il reçoit d’un informaticien un email confirmant la réalisation de deux opérations faites le jour même mais elles seront antidatées dans les comptes de Sud Oil à la BGFI. Pour cela, selon nos informations, il faut court-circuiter le logiciel de gestion bancaire et intervenir manuellement. Sud Oil rembourse deux millions à la Gécamines qui verse l’argent à la Banque centrale, comme elle aurait dû le faire deux ans plus tôt. Sur le compte de la société, cette opération apparaît sous le libellé « EXT. AVANCE SUR FISCALITE SV » le 13 juin 2016. Les auditeurs de PWC, qui n’ont pas accès aux documents Congo Hold-up, penseront que le paiement de Gécamines à Sud Oil était une simple erreur d’aiguillage, qui a été corrigée le jour même.

Une semaine plus tard, le 22 avril 2018, Jeune Afrique lâche une bombe : le magazine révèle, grâce à de nouveaux documents issus des « Lumumba Papers », le paiement de 7,5 millions de dollars effectué par la Banque centrale à Sud Oil en mai 2016. C’est la première fois que l’existence de la société est dévoilée, ainsi que ses propriétaires : la sœur du président Kabila, Gloria Mteyu, et sa belle-sœur Aneth Lutale, l’épouse du patron de la BGFI RDC.

Au Gabon, l’information inquiète le grand patron du groupe BGFI, Henri-Claude Oyima, qui se fend dès le lendemain d’un courriel très sec à Francis Selemani Mtwale et à son adjoint : « Je vous prie de me confirmer si cette information est avérée et de quoi s’agit-il ? »

Deux jours plus tard, le directeur des opérations, Moreau Kaghoma, fait à nouveau appel à l’informaticien pour passer de nouvelles opérations antidatées directement dans le logiciel de gestion. On retrouve des virements de 2018 qui sont enregistrés dans le système informatique comme des opérations de 2016.

Mais cette fois, la combine est encore plus sophistiquée : Sud Oil n’a même pas besoin de rembourser. L’objectif est de faire croire que Sud Oil a acheté 7,5 millions de dollars à la Banque centrale en 2016. Moreau Kaghoma effectue donc un virement du même montant en francs congolais (sept milliards) de Sud Oil vers le compte de la BGFI à la Banque centrale.

Reste à compenser ce paiement, pour que cela ne coûte rien à Sud Oil. Pour ce faire, Kaghoma effectue, depuis le même compte de la Banque centrale à la BGFI, cinq virements à Sud Oil, pour le même total de sept milliards de francs congolais, libellés « Cobil RDC », du nom d’une société de distribution de pétrole. On ignore si Cobil a réellement versé cet argent à Sud Oil via ce compte de la BGFI à la Banque centrale, ou s’il s’agit d’un simple jeu d’écritures. Cobil n’a pas fait suite à nos questions.

Le lendemain, 26 avril 2018, Moreau Kaghoma envoie à Francis Selemani l’explication à donner au grand patron du groupe, Henri Claude Oyima : il s’agissait d’une « opération d’adjudication (vente de devises) organisée […] par la Banque centrale du Congo », via laquelle Sud Oil a acheté 7,5 millions de dollars moyennant le paiement de sept milliards de francs congolais. Contacté par RFI et ses partenaires, Moreau Kaghoma a refusé de répondre, renvoyant vers la BGFI.

Règle #7 : Savoir quand partir

C’est sans doute le scandale de trop. Dès le 26 avril 2018, la BGFI RDC a lancé un « audit des parties liées de la banque », une manière pudique de qualifier les individus et sociétés de la famille Kabila qui y ont des comptes, au premier rang desquels la société Sud Oil. L’enquête est dirigée par le directeur de l’audit interne, Yvon Douhore.

Dès le 11 mai 2018, le gérant de Kwanza Capital, filiale de Sud Oil, ordonne à la BGFI de fermer les comptes de la société et de virer les fonds qui restent à « divers bénéficiaires », dont Sud Oil et la femme de Francis Selemani pour le paiement de loyers et la Direction générale des recettes de Kinshasa (DGRK) pour payer l’impôt sur les revenus locatifs pour des biens avenue Tombalbaye et à la Cité du Fleuve, une cité résidentielle prisée par les dignitaires du régime Kabila.

De son côté, le gérant de Sud Oil, David Ezekiel, commence, lui, à retirer du liquide du compte de la société. Le chef de l’audit interne découvre alors, ahuri, qu’Ezekiel ne se rend pas à la banque lui-même pour effectuer les retraits. Le cash est directement prélevé par le directeur des opérations, Moreau Kaghoma, et les signatures régularisées seulement a posteriori. « Prière d’instruire le client qu’il se présente lui-même au niveau des caisses (caisses gros paiements) pour effectuer ses opérations de retraits », ordonne Yvon Douhore. Il demande qu’une « surveillance renforcée » soit mise en place sur le compte de Sud Oil.

Toutes ces manœuvres ne suffiront pas à sauver Francis Selemani Mtwale. Le 2 mai 2018, le PDG du groupe BGFI, Henri-Claude Oyima, s’envole pour Kinshasa afin d’assister à un conseil d’administration de la BGFIBank RDC. Il annonce le départ du directeur général. Officiellement, le frère adoptif du président est « promu », à un poste non précisé, au siège du groupe BGFI à Libreville.

Logo de la BGFIBank.

Logo de la BGFIBank. © PPLAAF

Malgré les irrégularités décelées, aucune sanction n’est prise par le groupe BGFI contre les dirigeants de sa filiale congolaise. Aucun signalement n’est fait à la justice. Interrogé à ce sujet, le PDG du groupe BGFI, Henri-Claude Oyima, n’a pas répondu.

Le rapport final sur les « parties liées », envoyé à la direction du groupe BGFI à Libreville en juillet 2018, minimise le rôle de Francis Selemani et l’emprise de la famille Kabila sur la banque.

Le laxisme est tel que malgré ce rapport d’audit, l’opération d’exfiltration des fonds du clan Kabila continue, alors même que ces retraits massifs mettent en péril la trésorerie de la BGFI RDC.

Le 11 juillet, le gérant de Sud Oil, David Ezekiel, envoie au nouveau directeur général de la banque Abdel Kader Diop, à la suite de leur « échange de ce jour », un « préavis de retrait » de 15 millions de dollars en liquide sur les comptes de Sud Oil, qu’il compte effectuer en quatre fois dans la semaine à venir.

Dès le lendemain, M. Ezekiel retire quatre millions de dollars en liquide, alors que le compte est en « blocage direction générale » dans le logiciel de gestion des données. Le directeur des opérations, Moreau Kaghoma a levé ce blocage manuellement et recommence le 13 juillet pour cinq millions supplémentaires. Neuf millions sont donc retirés en liquide en deux jours.

Le 16 juillet, le directeur de l’audit interne de la BGFI RDC informe son supérieur au Gabon que Sud Oil et Kwanza « sont dans un processus de retrait de leurs avoirs ». Le sujet est discuté le jour même au comité de trésorerie de la banque où Moreau Kaghoma est critiqué pour avoir autorisé les retraits. Le directeur général de la BGFI RDC, Abdel Kader Diop, lui ordonne dans la foulée de ne pas recommencer. Mais le lendemain, M. Kaghoma écrit un mail explosif à M. Diop qui rappelle son implication : « J’implore votre protection », écrit-il, rappelant au directeur général que c’est lui-même et son adjoint qui ont autorisé les retraits.

Les banquiers de la BGFIBank impliqués dans le dossier Sud Oil ont peu à peu disparu des organigrammes de la banque. Depuis sa « promotion » en mai 2018 au siège du groupe BGFI au Gabon, Francis Selemani est resté très discret. Ni lui ni la banque n’ont souhaité nous indiquer s’il travaille toujours pour la BGFI. Il est resté injoignable.

Qu’il soit encore banquier ou non, le frère adoptif du président Kabila n’a, en tout cas, pas de soucis à se faire d’un point de vue financier. Les documents Congo Hold-up montrent que Sud Oil a versé 12 millions de dollars à Francis Selemani Mtwale et à ses sociétés. Une partie au moins de ces fonds sont issus des 93 millions de dollars de fonds publics obtenus par Sud Oil, notamment ceux issus de la Banque centrale et de l’ONU.

Avec cet argent, l’ancien patron de la BGFI RDC et son épouse ont acheté, directement ou par le biais de sociétés et de trusts, pas moins de dix-sept biens immobiliers aux États-Unis et en Afrique du Sud pour un montant total de 6,6 millions de dollars.

L’autre grand bénéficiaire du réseau Sud Oil est l’ancien président du conseil d’administration de la BGFIBank RDC : Pascal Kinduelo. Le fondateur de Sud Oil et actionnaire de Kwanza Capital à l’époque des faits a reçu de cette banque et d’une autre société associée, Sezo, plus de neuf millions de dollars qu’il a retirés en liquide : trois millions le 19 novembre 2014 et six millions le 10 septembre 2018. Lui non plus n’a pas souhaité répondre aux questions soulevées par cette enquête. Dans une vidéo promotionnelle publiée sur internet au début de l’année 2021, intitulée Le légendaire entrepreneur congolais, M. Kinduelo était présenté comme l’un de ces « véritables self-made men qui ont bâti leur fortune à la sueur de leur front et non en dépouillant les caisses de l’État ».

► À lire aussi : l’enquête de Médiapart

De son côté, Gloria Mteyu, sœur de Joseph Kabila et ancien actionnaire de Sud Oil, aurait pour sa part coupé les ponts avec la BGFI RDC, dont elle avait obtenu 40% du capital gratuitement en 2012. Des sources internes nous ont indiqué que le groupe BGFI possèderait désormais 100% des parts de la filiale congolaise, et Mme Mteyu a indiqué à Reuters en 2016 qu’elle n’avait « aucun enjeu financier lié à la banque ». Jointe par téléphone, elle a refusé de nous répondre.

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#Congo #Holdup #Sud #Oil #siphonneuse #premier #cercle #Joseph #Kabila

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