La reine étant partie, le Commonwealth, une organisation intergouvernementale composée de 56 États, fait désormais face à un avenir incertain entre les mains du roi Charles III. Souvent décrié comme une façade sans substance, le Commonwealth est pourtant un moyen pour certains États africains de se faire une place sur la scène internationale.
L’héritage qu’Elizabeth II laisse au monde s’étend bien au-delà des frontières du Royaume-Uni. Vestige du « royaume sur lequel le soleil ne se couche jamais », le Commonwealth demeure sans aucun doute l’un des emblèmes les plus importants de son règne. Après avoir été perçu comme un important outil d’influence culturelle et de diplomatie pour le Royaume-Uni lors de sa fondation, le Commonwealth est devenu aujourd’hui une organisation intergouvernementale largement symbolique, dont l’utilité est régulièrement remise en question. A sa tête pendant ses 70 ans de règne, feu la souveraine passe désormais le flambeau au roi Charles III.
L’organisation compte 56 pays membres sur les cinq continents, dont 15 pays qui reconnaissent le souverain britannique comme seul monarque et chef d’État, dont l’Australie, le Canada, la Jamaïque et la Nouvelle-Zélande.
Officiellement fondé en 1949, le Commonwealth est né des vagues de décolonisation de son empire, mené par une reine stratège et pragmatique. « Elle a eu l’intelligence de revitaliser le Commonwealth en acceptant l’intégration d’États et de républiques indépendants. C’est elle qui a donné un sens au Commonwealth que nous connaissons aujourd’hui »souligne Cécile Perrot, maître de conférences à l’université de Rennes 2.
Tout au long de ses années en tant que reine d’Angleterre, elle a noué des liens étroits avec les dirigeants des États membres décolonisés, tout en leur offrant une plate-forme pour être vue et entendue. Une des raisons pour lesquelles de nombreux pays africains tentent progressivement d’intégrer le club anglophone.
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Fonctionnement limité et manque de crédibilité
Le Commonwealth cache-t-il aujourd’hui une coquille vide, présentée comme une vitrine des bonnes relations entre le Royaume-Uni et son ancien empire colonial ? « Le Commonwealth est très soucieux de montrer qu’il respecte la souveraineté de tous ses membres afin d’éviter les accusations de néocolonialisme, ce qui limite grandement sa portée »déclare Adrien Rodd, maître de conférences en civilisation britannique à l’université de Versailles-Saint-Quentin.
Des sommets organisés tous les deux ans réunissent les dirigeants des 56 États membres pour décider de priorités communes. Sauf que le Commonwealth est confronté à des États très hétérogènes aux intérêts parfois divergents, ce qui l’empêche de proposer des actions ambitieuses et le limite à des résultats limités. « Dans la seconde moitié du XXe siècle, il avait réussi à privilégier la diplomatie, notamment en mobilisant la communauté internationale pour faire pression sur le régime d’apartheid en Afrique du Sud.détaille Adrien Rodd. Mais depuis le début des années 1990, le Commonwealth cherche vraiment un but. »
La critique ne s’arrête pas là. Le Commonwealth souffre d’un sérieux manque de crédibilité pour faire respecter ses valeurs. « Il a très peu de ressources pour limiter ses Etats membres, à cause du respect de la souveraineté », ajoute le spécialiste. L’un des exemples les plus frappants pour Adrien Rodd : l’acceptation de la candidature du Rwanda en 2009, alors que le Initiative des droits du Commonwealth, une ONG interne dédiée à la défense des droits de l’homme, avait publié un rapport très critique contre les pratiques du gouvernement de Paul Kagame. L’association a conseillé de rejeter la candidature du pays, soulignant qu’accepter un tel gouvernement en tant que membre suggérerait que le Commonwealth ne prend pas ses valeurs au sérieux. Néanmoins, le Rwanda a rejoint l’organisation la même année.
Une chance de se faire entendre pour certains pays africains
L’Afrique du Sud, le Cameroun, le Kenya, la Tanzanie et le Nigeria font partie des 56 membres du Commonwealth. En juin 2022, le Gabon et le Togo rejoindront l’organisation, treize ans après le Rwanda. Le Zimbabwe a officialisé sa demande de rejoindre le groupe en 2018, après l’avoir quitté en 2003.
Qu’en est-il des pays africains qui veulent rejoindre le Commonwealth, malgré les critiques sur son manque d’efficacité ? Pour Adrien Rodd, la réponse est claire : le Commonwealth représente l’opportunité de se faire entendre au niveau d’une institution internationale. « Les petits pays en développement en retirent beaucoup plus que les pays riches. Ils ont accès à une aide concrète, sous la forme d’experts et de conseillers envoyés dans leur pays. Mais surtout, ils ont l’opportunité de rencontrer d’autres chefs d’Etat et d’exprimer leurs besoins lors de sommets. Même si son champ d’action est très limité, le Commonwealth reste un moyen d’expression des priorités des petits États. »
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Une place au sein du Commonwealth permet ainsi de mener la politique étrangère, mais aussi de développer les relations avec le monde anglophone. « C’est un lieu de rencontre, où vous pouvez asseoir votre influence à l’étranger et qui offre certains débouchés diplomatiques et commerciaux importants »argumente Cécile Perrot.
Les visites de la famille royale dans les pays du Commonwealth et les anciennes colonies britanniques sont néanmoins parfois tendues. De la des protestations avaient éclaté lors de la visite du prince William et de Kate en Jamaïque en mars dernier, pour exiger des excuses pour le rôle que la monarchie a joué dans le commerce des esclaves dans le passé.
Malgré les critiques du Commonwealth sur son héritage colonial, Adrien Rodd et Cécile Perrot s’accordent à dire que le Royaume-Uni n’a pas maintenu le même niveau de tension que la France dans ses relations avec ses anciennes colonies africaines. « Le Royaume-Uni a connu une décolonisation plus rapide et plus fluide. Avec moins d’hostilité et moins de rancœur »dit Cécile Perrot.« Il n’y a pas de présence militaire britannique, moins de présence économique et commerciale dans les anciennes colonies. Il n’y a pas d’équivalent de la « Françafrique » pour le Royaume-Uni »ajoute Adrien Rodd.
Quel avenir pour le Commonwealth sans son icône ?
Le roi Charles III pourra-t-il reprendre les rênes d’une telle organisation mondiale ? Le nouveau souverain, nettement moins populaire que sa mère, fait face à un défi de taille : dépersonnaliser le Commonwealth, qu’Elizabeth II s’était forgée autour de sa popularité. « La question se pose surtout pour les 15 pays qui reconnaissent le monarque comme chef de l’Etat. Sa mort est susceptible de raviver les mouvements républicains existants en Australie ou au Canada, qui remettent en cause la légitimité du monarque britannique à devenir leur chef d’État. »souligne Cécile Perrot.
Les liens personnels de la défunte avec d’autres dirigeants, forgés au fil de décennies de rencontres et de visites, seront certainement plus difficiles à consolider pour son fils successeur. « Karel III n’a pas le lien émotionnel et le respect qu’il avait pour sa mère »dit Adrian Rodd.
Malgré tout, Cécile Perrot ne considère pas la mort de la reine comme la fin du Commonwealth. « Il a un fondement culturel et diplomatique qui est trop ancré pour disparaître. Mais reste à savoir si cette institution pourra servir d’outil de puissance, comme semble le vouloir le Royaume-Uni post-Brexit. »
En effet, le gouvernement conservateur de Boris Johnson avait vanté les réalisations du Commonwealth après le Brexit, déclarant : sa politique étrangère « Grande-Bretagne mondiale »officialisé en 2021, pour rétablir des relations commerciales avec des partenaires autres que l’Union européenne. « Les partisans du Brexit attendent beaucoup de ces liens, pour renouer avec une certaine position du passé. Reste à savoir si cette projection vers les pays du Commonwealth relève plus de la fantaisie que de la réalité.demande Cécile Perrot.
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